Tiques : petites bêtes, grands enjeux

Comprendre les tiques pour mieux interagir avec son environnement

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Cohabiter avec le vivant… tout le vivant

Invisibles, patientes, bien cachées dans la végétation, les tiques passent souvent inaperçues… jusqu’au moment où l’on en découvre une sur la peau. Leur présence peut déranger, surtout quand on connaît les risques qu’elles représentent. Mais au-delà de cette image parfois inquiétante, elles sont avant tout des habitantes, comme nous, de nos milieux vivants, y compris de ceux que nous cultivons avec soin, comme les jardins-forêts.

Elles ne sont ni des intruses ni un signe de déséquilibre : elles font partie du vivant. Et comme d’autres organismes moins “sympathiques”, elles nous rappellent que vivre dans un écosystème riche, c’est aussi accepter quelques contraintes.

Alors comment faire avec ? Cet article propose d’apprendre à mieux connaître les tiques, à repérer les vrais risques, et à découvrir des gestes simples pour cohabiter avec elles sans renoncer à la diversité que nous cherchons à accueillir.

Qui sont-elles vraiment ?

La tique est un petit arachnide, proche cousine des acariens, et non, ce n’est pas un insecte ! Elle possède huit pattes, comme les araignées, et non six comme les insectes. Elle ne vole pas, ne saute pas, mais grimpe sur les herbes ou les broussailles, souvent dans les zones de transition entre forêt et prairie, et attend patiemment le passage d’un hôte pour s’y fixer. Elle utilise un un appareil buccal spécialisé, en forme de harpon, nommé rostre. qu’elle insère dans la peau pour se nourrir de sang, une étape indispensable à son développement.

En Suisse, il existe une vingtaine d’espèces de tiques. On en connaît aujourd’hui environ 900 espèces à travers le monde. Ixodes ricinus, la tique du mouton, est l’espèce la plus courante dans notre pays et en Europe. C’est celle que l’on retrouve le plus souvent dans les forêts, les haies, les parcs… et aussi dans les jardins-forêts.

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Photo : La tique du mouton (Ixodes ricinus), l'espèce de tique la plus courante en Suisse et en Europe (Crédit : Pixabay, @Erik_Karits).

Les tiques vivent dans la végétation basse, attendant parfois des mois avant de croiser un hôte de passage, qu’il soit à poils, à plumes, à écailles ou en chaussures de randonnée. Leur cycle comprend trois stades (larve, nymphe, adulte), et chacune de ces étapes nécessite un repas sanguin. Ce mode de vie les amène à changer d’hôte plusieurs fois, ce qui leur permet d’acquérir des agents pathogènes auprès d’un animal infecté, puis de les transmettre à un autre. C’est ce rôle de pont entre différentes espèces qui en fait des vecteurs de maladies particulièrement efficaces.

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Illustration : Le cycle de vie d'une tique (Crédit : piqure-de-tique.ch).

Des créatures bien plus anciennes que nous

Les tiques existent depuis plus de 100 millions d’années. Des fossiles conservés dans de l’ambre montrent qu’elles parasitaient déjà des dinosaures à l’époque du Crétacé. Elles ont traversé les ères géologiques, survécu à plusieurs extinctions massives, et ont co-évolué avec les mammifères, les oiseaux, les reptiles. Elles sont capables de parasiter la plupart des vertébrés terrestres. Leur morphologie n’a quasiment pas changé depuis ces temps anciens, preuve de leur efficacité biologique. Cette longévité fait des tiques l’un des plus anciens groupes de parasites connus sur Terre.

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Photo : Découverte de tiques piégées dans de l’ambre il y a 100 millions d’années (Crédit : Penalver et al., Nature Communications).

Sentinelles du réchauffement climatique

Les tiques sont devenues de véritables indicatrices du dérèglement climatique. On les croise plus tôt au printemps, plus tard en automne, et même en hiver. Des températures plus douces dès février et jusqu’en décembre leur permettent d’être actives presque toute l’année. Elles réagissent rapidement aux variations de température et d’humidité. Résultat : leur période d’activité s’allonge, augmentant le risque d’exposition.

En Suisse, on observe déjà une extension de leur répartition en altitude et une présence accrue tout au long de l’année. Certaines espèces jusque-là rares ou absentes, comme la tique "géante" (Hyalomma marginatum), une grande tique venue du sud et potentiellement vectrice de maladies graves, ou la tique des prés (Dermacentor reticulatus), colonisent progressivement le territoire, profitant de fenêtres climatiques plus longues et favorables à leur développement.

En ce sens, les tiques sont de vraies sentinelles écologiques : elles nous signalent concrètement les effets du dérèglement climatique sur la faune, les cycles biologiques et notre quotidien.

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Photo : La tique "géante" (Hyalomma marginatum), de plus en plus présente en Suisse ( (Crédit : INaturalist, martin_galli).

Les tiques et leurs hôtes préférés

Dans un écosystème vivant comme celui d’un jardin-forêt, on croise régulièrement de petits animaux souvent discrets mais omniprésents : hérissons, mulots, musaraignes, parfois même des renards. Tous ces animaux jouent un rôle écologique précieux et peuvent aussi servir de véhicules involontaires pour les tiques.

Certains, comme les hérissons, sont particulièrement connus pour abriter un grand nombre de tiques. Non pas parce qu’ils les attirent plus que les autres, mais parce qu’ils se déplacent dans des zones où les tiques sont présentes. De plus, les piquants des hérissons rendent le toilettage difficile, ce qui permet aux tiques de s'accrocher plus facilement. Ils peuvent porter des dizaines, voire des centaines de tiques, sans vraiment réussir à s’en débarrasser.

Les petits rongeurs, quant à eux, sont souvent les premiers hôtes des larves de tiques. Ce sont eux qui, lorsqu’ils sont porteurs de bactéries du genre Borrelia, infectent les tiques à un stade précoce. Elles peuvent ensuite transmettre l’agent pathogène à d’autres animaux. Les oiseaux qui se nourrissent au sol, comme les merles ou les grives, jouent un rôle similaire.

Cela ne veut pas dire qu’il faut redouter ces animaux, au contraire. Leur présence est un signe de vitalité que ce soit dans les milieux naturels ou dans un jardin-forêt. Ils remplissent de nombreuses fonctions : ils consomment insectes et limaces, dispersent des graines, fertilisent les sols et nourrissent d’autres espèces.

Et leurs prédateurs ? Des alliés naturels à encourager

Heureusement, les tiques ont quelques prédateurs naturels. Certains oiseaux comme les mésanges, les rougequeues ou les étourneaux en consomment régulièrement, principalement au stade larvaire ou nymphal, lorsqu'elles sont au sol. Les crapauds, lézards, musaraignes et même certaines fourmis participent également à cette régulation naturelle. Il n’existe cependant pas de prédateurs spécialisés des tiques en Europe : leur régulation repose plutôt sur un ensemble d’espèces qui les consomment de manière opportuniste, ou qui réduisent indirectement leur nombre en limitant leurs hôtes, comme les renards ou les chouettes qui prédatent les rongeurs.

En accueillant ces alliés dans nos jardins-forêt, en diversifiant les strates, en ajoutant des murgiers ou des tas de bois, ou encore des nichoirs, on rééquilibre les dynamiques écologiques. Cela ne les fait pas disparaître, mais contribue à réguler leur présence en renforçant les liens invisibles d’un écosystème vivant.

En effet, la présence et l’abondance de tiques peut indiquer l’état de santé d’un milieu vivant. Un milieu riche en biodiversité héberge inévitablement tous les animaux qui participent au cycle de vie des tiques. Un déséquilibre dans les relations proie-prédateur peut favoriser leur prolifération. À l’inverse, un milieu équilibré où les chaînes alimentaires sont actives tend à réguler naturellement leur population.

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Photo : L'étourneau sansonnet (Sturnus vulgaris), un prédateur occasionnel des tiques ( (Crédit : vogelwarte.ch, Mathias Schäf).

Quels risques pour l’être humain ?

En Suisse, environ une tique sur trois peut transmettre un agent pathogène. Les deux principales maladies concernées sont la borréliose de Lyme, une infection bactérienne généralement signalée par une rougeur circulaire autour de la morsure, et la méningo-encéphalite à tiques (FSME), d’origine virale, plus rare mais parfois grave. Cette dernière ne se soigne pas, mais un vaccin est recommandé dans les cantons à risque.

La transmission de la borréliose nécessite souvent que la tique reste fixée pendant plus de 24 heures, ce qui rend l’inspection du corps après chaque passage en zone à tiques d’autant plus utile.

Pour s’en prémunir, il suffit souvent de quelques gestes simples : porter des vêtements longs et clairs, appliquer un répulsif adapté, éviter les zones de végétation dense en dehors des sentiers, et s’inspecter soigneusement en rentrant. Si une tique est fixée, on la retire calmement avec un tire-tique, on désinfecte et on garde un œil sur l’endroit de la morsure les jours suivants. En cas de rougeur persistante ou de symptômes, un avis médical s’impose.

Idées reçues sur les tiques : ce qu’on croit, ce qu’il en est

Les tiques suscitent souvent méfiance… et idées fausses. Voici quelques croyances courantes, démêlées du vrai :

Les tiques tombent des arbres.
Faux. Elles ne montent pas dans les arbres et ne se jettent pas sur vous depuis les branches. Elles attendent dans les herbes hautes, accrochées à une tige ou une feuille, prêtes à s’agripper au moindre passage.

Une tique qu’on n’a pas sentie mordre n’a pas eu le temps de transmettre quelque chose.
Pas tout à fait. La transmission d’un agent pathogène peut prendre du temps (souvent plus de 24h), mais certaines infections comme la FSME peuvent être transmises très rapidement. D’où l’intérêt de vérifier régulièrement, même si on n’a rien senti.

Il faut la brûler, l’écraser ou l'étouffer pour l’enlever.
Erreur. Ces gestes stimulent la tique, qui peut régurgiter davantage de salive ou de sang infecté. Il faut la retirer calmement avec un outil adapté.

Il faut tourner la tique pour la retirer.
Non, ce n’est pas nécessaire, ni recommandé. Une traction lente et droite avec un tire-tique suffit. Tourner peut augmenter le risque de laisser le rostre de la tique dans la peau, sans améliorer le retrait. Le plus simple reste souvent le plus sûr.

Une morsure = une maladie.
Non. La majorité des morsures ne transmettent rien du tout. Mais on reste vigilant·e car on ne sait pas à l’œil nu si la tique est infectée, ni depuis combien de temps elle était fixée.

Les tiques vivent sur les animaux.
Elles ne font que passer. Une fois repues, elles se détachent et poursuivent leur cycle de vie sur le sol ou la végétation. Elles ne sont donc pas “hébergées” de façon permanente.

Le froid les tue.
Pas si simple. Les tiques sont résistantes : elles survivent aux hivers doux, se réfugient sous les feuilles mortes, et deviennent actives dès que les températures dépassent 7°C. Avec le réchauffement climatique, leur activité s’étale de plus en plus.

Les répulsifs naturels suffisent à les éloigner.
Certains produits à base d’huiles essentielles ont un effet partiel, mais ce n’est pas une barrière absolue. Ils doivent être combinés à d’autres mesures (habits couvrants, inspection après sortie…).

Elles ne vivent que dans les forêts.
Faux. On en trouve aussi dans les haies, les prairies, les parcs, les lisières… bref, partout où il y a de la végétation basse et des hôtes potentiels.

Penser un jardin-forêt avec les tiques

Peut-on aménager un jardin-forêt qui limite la présence des tiques sans nuire à la biodiversité ? La réponse est oui, en partie, et cela commence par des choix de conception et d’entretien :

  • Favoriser la lumière et les espaces aérés dans les zones de passage humain.
  • Créer des clairières, des zones sèches, avec du paillage, des dalles, ou du bois broyé.
  • Entretenir les lisières et tailler les herbacées là où le public circule souvent.
  • Accueillir les prédateurs naturels des tiques : mésanges, rouges-gorges, hérissons, crapauds, lézards… tous jouent un rôle dans la régulation naturelle. Planter des arbustes à baies, laisser des zones sauvages, installer des nichoirs ou préserver les tas de feuilles, de bois ou de pierres permet de leur offrir abri et nourriture.

Observer les dynamiques naturelles, coopérer avec les équilibres existants, accueillir les régulateurs biologiques : autant de principes qui permettent de réduire la pression des parasites sans chercher à les éliminer.

En ce sens, les tiques ne sont pas un “problème” à éradiquer, mais un indicateur à prendre en compte. Ce sont souvent des déséquilibres (excès de rongeurs, manque de lumière, absence de prédateurs) qui favorisent leur abondance. Diversifier les strates, structurer les usages humains, créer des zones tampon : c’est par l’intelligence du lieu qu’on retrouve un équilibre vivable.

Un jardin-forêt n’est pas un décor figé : c’est un écosystème co-construit, vivant, à adapter en continu.

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Photo : Un tas de pierres, ou murgier, installé dans le Jardin-Forêt des Morettes favorise certains prédateurs naturels des tiques, comme les lézards ou certains micromammifères insectivores.

Un rappel philosophique : vivre avec, pas contre

La nature ne vient pas avec un mode d’emploi. Elle mord, gratte, dérange souvent nos idées toutes faites et c’est aussi pour ça qu’elle nous fait du bien. Les tiques, comme les orties, les limaces ou les moustiques, nous rappellent que le vivant n’est pas un espace à domestiquer, mais un monde à comprendre.

Plutôt que d’agir par peur ou d’imaginer des solutions radicales, on peut choisir une autre voie : celle de l’observation, de la connaissance, de l’adaptation. La vigilance n’a pas besoin d’être anxieuse : elle peut devenir un réflexe, comme attacher ses lacets avant une balade. Savoir repérer les tiques, se protéger, réagir correctement, c’est tout ce qu’il faut.

Et dans les jardins-forêts ? Ce n’est pas très différent. Ces écosystèmes vivants et foisonnants nous offrent autant de richesses que de petits défis. Les tiques en font partie, avec les limaces et les campagnols. Mais à travers eux, c’est l’équilibre global qui se joue : celui où chaque habitant, visible ou discret, a sa place.

Apprendre à vivre avec les tiques, c’est finalement affiner notre lien au monde vivant, avec un peu plus de curiosité, de respect et peut-être une pince tire-tique dans la poche, au cas où.

Matthieu Richter, pour l'Association Jardin-Forêt Suisse

Pour aller plus loin

Articles et références

BFU – Conseil suisse de la sécurité. (s.d.). Éviter les piqûres de tique : Conseils pour des sorties sans soucis. https://www.bfu.ch/fr/conseils/eviter-les-piqures-de-tique

Confédération suisse – Office fédéral de la santé publique (OFSP). (2024). Maladies transmises par les tiques. https://www.bag.admin.ch/fr/maladies-transmises-par-les-tiques-situation-en-suisse

État de Fribourg (Suisse). (s.d.). Tout sur les tiques (page d’informations cantonales). https://www.fr.ch/sante/prevention-et-promotion/les-maladies-vaccinations-et-parasites/tout-sur-les-tiques

Homes & Gardens. (2024). How biodiversity can repel and combat ticks.
https://www.homesandgardens.com/gardens/how-biodiversity-can-repel-and-combat-ticks

Pérez, D., Gern, L. (2020). Tiques et borréliose de Lyme en Suisse occidentale. https://libra.unine.ch/entities/publication/9dfb8527-6395-4dc2-b613-fe20de49b77f/details

piqure‑de‑tique.ch. (2024). Espèces de tiques en Suisse. Campagne de sensibilisation - Pfizer & Verfora. https://piqure-de-tique.ch/especes-de-tiques/

Ouvrages

Estrada-Peña, A., Mihalca, A. D., & Petney, T. N. (2017). Ticks of Europe and North Africa: A Guide to Species Identification. Springer.

McCoy, K. D., & Boulanger, N. (Dir.). (2016). Tiques et maladies à tiques : Biologie, écologie évolutive, épidémiologie. Éditions IRD.

Hamman, P. & Dziebowski A. (2023) Des tiques et des hommes : chronique d’une nature habitable. Entre territorialisation, sanitarisation et responsabilisation. Éditions Le Bord de l’eau.