Un monde fascinant au cœur du vivant

Les champignons, acteurs clés des écosystèmes et trésors comestibles ou mortels

· Champignons,écosystèmes terrestres,jardin-forêt,symbiose

Un règne à part entière

Ils passent souvent inaperçus, discrets sous nos pieds ou nichés dans un coin, sous un arbre… et pourtant, les champignons jouent un rôle fondamental dans les écosystèmes terrestres. Sans eux, pas de sol vivant, pas de forêt en équilibre, pas de recyclage naturel efficace.

Quand on pense aux champignons, on imagine souvent le “chapeau” qui émerge après la pluie. Ce que l’on voit, c’est en réalité le sporophore : la structure reproductive, chargée de produire et de libérer les spores. Mais ce n’est que la partie émergée d’un organisme bien plus vaste. Un peu comme une pomme n’est que le fruit du pommier, le sporophore représente la partie émergée du champignon ; tout le reste, l’équivalent de l’arbre, reste caché sous nos pieds. C’est un réseau de filaments fins comme des cheveux appelé mycélium, qui se déploie dans le sol, le bois mort ou autour des racines. Ce réseau souterrain, dense et ramifié, peut rivaliser avec un système nerveux en complexité. C’est lui qui assure l’essentiel des fonctions vitales : alimentation, interactions avec d’autres êtres vivants, et exploration du milieu.

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Illustration : Comparaison entre champignon et arbre fruitier, où le sporophore est au champignon ce que la pomme est à l’arbre (Crédit : Inconnu).

Pendant un temps, ce mycélium reste invisible, mais il est bel et bien actif. Puis, lorsque les circonstances sont idéales, il mobilise ses ressources pour faire émerger un ou plusieurs sporophores. Leur mission ? Relancer le cycle en disséminant de nouvelles spores.

Et ainsi, sans bruit, la boucle recommence. Discret mais indispensable, le champignon poursuit sa vie en tissant ses réseaux, recyclant la matière et entretenant la forêt.

Ce monde reste, encore aujourd’hui, très mystérieux. Les scientifiques estiment qu’il pourrait exister entre 1,5 et 5 millions d’espèces de champignons sur Terre. Pourtant, à peine 150 000 ont été décrites à ce jour. Cela signifie que moins de 10 % de la diversité fongique mondiale est actuellement connue. Cela signifie que nous connaissons à peine la surface d’un monde souterrain aussi vaste qu’invisible. Autant dire qu’il reste beaucoup à découvrir sur ces alliés silencieux du vivant.

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Photo : Le Rhodotus réticulé (Rhodotus palmatus), un champignon inscrit sur la liste rouge des espèces menacées de champignons d'Europe (Crédit : Instagram, @jamie_hall_definitive_imaging).

Ni plantes, ni animaux, les champignons forment un règne du vivant à part entière. Pourtant, ils sont présents partout, des glaciers aux déserts, du bois mort au pain qui lève. Leur fonctionnement, leur reproduction, leur rôle et même leur apparence échappent souvent aux catégories classiques du vivant, ce qui en fait un sujet d’émerveillement aussi bien pour les scientifiques que pour les curieux.

Les champignons ont traversé les ères géologiques bien avant les mammifères. Certains fossiles de structures fongiques datent de plus de 800 millions d’années, ce qui en fait parmi les premiers organismes complexes du monde vivant terrestre. Leur ancienneté et leur capacité d’adaptation leur confèrent un rôle fondamental dans le maintien de l’équilibre écologique des milieux naturels.

Des anecdotes qui donnent le tournis

Les champignons sont souvent discrets… mais leurs exploits, eux, sont incroyables. Saviez-vous que le plus grand organisme vivant au monde est un champignon ? Il s’agit d’un armillaire sombre (Armillaria solidipes) situé dans l’Oregon (États-Unis), dont le mycélium s’étend sur plus d’environ 9 km2, soit environ la taille de 1 200 terrains de football. Cet individu unique aurait plus de 2 000 ans. Il pousse encore aujourd’hui, lentement, presque imperceptiblement, dans l’humus forestier.

Autre fait étonnant : dans un seul gramme de sol forestier, on peut trouver jusqu’à 10 kilomètres de filaments fongiques. Ces réseaux microscopiques tissent des connexions entre les arbres et facilitent la transmission de nutriments, d’eau et même d’informations de défense. Ce phénomène a été surnommé le “Wood Wide Web”, un véritable Internet du sol, dans lequel les champignons jouent le rôle de connecteurs biologiques, capables de coordonner la croissance, la défense, voire le soutien entre espèces végétales.


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Illustration : Représentation du “Wood Wide Web” (Crédit : The Human in Us®, Macrina Busato).

Et ce n’est pas tout : certains champignons, comme ceux du genre Cordyceps, parasitent les insectes et peuvent manipuler leur comportement, les poussant à grimper pour mieux diffuser leurs spores. D’autres, fluorescents, émettent une lumière dans l’obscurité, phénomène qui pourrait servir à attirer les insectes pour faciliter la dispersion.

Les champignons sont non seulement partout mais ils sont aussi beaucoup plus vivants et complexes qu’on ne l’imagine.

Acteurs écologiques essentiels

Les champignons assurent des fonctions écologiques cruciales, qui touchent à la recyclabilité de la matière, à la santé des végétaux, à la qualité des sols et à la résilience globale des écosystèmes. On regroupe leurs relations avec les végétaux sous le nom de “statuts trophiques”, qui désignent la manière dont un champignon se nourrit et interagit avec son environnement : certains parasitent, d’autres décomposent, et d’autres encore vivent en symbiose.

1. Les parasites (mais utiles)

Bien que parfois nuisibles à court terme, ils participent à la régulation des populations végétales ou animales, et permettent à terme de renouveler les dynamiques forestières. Ils évitent notamment que des espèces dominantes étouffent la diversité. De plus, certains sont d’ailleurs aujourd’hui étudiés pour des usages en agriculture naturelle, comme alternatives aux pesticides, ou pour stimuler les défenses des plantes de manière plus douce.

2. Les décomposeurs (saprotrophes)

Ils transforment les matières organiques mortes en humus, cette matière noire riche qui nourrit le sol et libèrent les nutriments essentiels (azote, phosphore, potassium). Sans eux, les forêts seraient littéralement étouffées sous les débris végétaux et animaux. Leur action permet la régénération cyclique des ressources naturelles et la préservation de l'équilibre entre croissance et décomposition. Leurs enzymes uniques sont capables de digérer des composés complexes, comme la lignine du bois ou la chitine d’insectes, ce que très peu d’autres organismes peuvent faire.

3. Les symbiotes (mycorhiziens)

Ils vivent en association avec les racines de 90 % des plantes terrestres. En échange des sucres produits par la photosynthèse, ils leur fournissent de l’eau, des minéraux, et parfois même une meilleure résistance aux maladies. Certaines espèces de pins, de bouleaux ou d’orchidées ne peuvent même pas germer sans leur champignon associé. Les études ont montré que les plantes connectées à des réseaux mycorhiziens présentent une croissance plus rapide, une meilleure floraison et une plus grande résistance au stress hydrique ou pathogène. Ces relations complexes diffèrent selon les espèces végétales concernées, mais toutes augmentent la capacité des sols à retenir les nutriments.

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Illustration : Les différents statuts trophiques des champignons : 1) parasites ; 2) saprotrophes ; 3) mycorhiziens (Crédit : Illustration de Jean-Claude Gerber, tirée de Champignons, guide de terrain).

Entre délices et dangers : la comestibilité des champignons

Dans les sous-bois, la cueillette est un plaisir millénaire. Cèpes, girolles, morilles ou truffes ravissent les gourmets. Mais cette richesse comestible s’accompagne de précautions indispensables. L’identification est une science à part entière, qui demande expérience, observation, et parfois une loupe : l’odeur, le goût, l’aspect du chapeau, des lames, du pied, le changement de couleur à la coupe, tout compte.

Cela peut surprendre, mais oui, le goût peut parfois aider à identifier un champignon… à condition de le faire correctement. Il ne s’agit pas de manger un morceau mais simplement de prendre un petit bout en bouche, d’apprécier sa saveur, puis de recracher tout de suite. Pas d’ingestion, jamais. Même les espèces toxiques ne sont pas dangereuses au simple contact buccal, mais certaines ont des saveurs désagréables, voire piquantes ou irritantes. Et soyons clairs : ce n’est pas une invitation à goûter n’importe quoi pour voir. L’objectif, c’est d’affiner une identification, pas de jouer à la roulette mycologique.

En effet, certaines espèces mortelles, comme l’amanite phalloïde (Amanita phalloides), provoquent une intoxication grave après une simple bouchée, et peuvent ressembler à des espèces comestibles pour un œil non averti. D’autres causent des effets différés de 6 à 12 heures, ce qui complique leur détection. Chaque année en Suisse, des cas d’intoxication sont recensés, souvent dus à des erreurs d’identification ou à des cueillettes hasardeuses.

Ce n’est pas pour autant que ces espèces sont inutiles, bien au contraire. Chaque espèce joue un rôle dans l’équilibre de son écosystème. Piétiner ou arracher un champignon "inintéressant" prive le sol et la forêt d’un acteur important.

Les champignons comestibles doivent toujours être consommés bien cuits, en quantité modérée, et idéalement après avoir été contrôlés. Même des espèces réputées sans danger, comme le pied-bleu ou la russule charbonnière, peuvent entraîner des troubles digestifs ou des réactions allergiques, selon les personnes. La réglementation suisse limite la récolte à 2 kg par jour et par personne dans de nombreux cantons.

Les services de contrôle des champignons sont souvent gratuits et disponibles dans la plupart des communes pendant la saison automnale. Il est aussi conseillé d’apprendre les bases de la reconnaissance des espèces auprès de sociétés mycologiques locales, qui organisent des sorties et des cours accessibles à toutes et tous.

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Illustration : L’amanite phalloïde (Amanita phalloides) (Crédit : Wikipedia, Archenzo, licence CC BY-SA 3.0).

Champignons et jardin-forêt : une alliance fertile

Si vous avez bien suivi jusqu’ici, vous avez compris que les champignons jouent un rôle essentiel dans tous les écosystèmes et ça vaut évidemment aussi pour les jardins-forêt.

En jardin-forêt, les champignons sont plus qu’un élément du décor : ils en sont la trame vivante. En créant un sol riche, couvert, non travaillé, on favorise leur développement naturel. Et ce n’est pas un luxe, car :

  • Ils boostent la santé des arbres et des cultures,
  • Participent à la résilience face aux sécheresses,
  • Améliorent la qualité du sol à long terme,
  • Et parfois même, offrent une récolte comestible complémentaire.

Pour compléter ce dernier point, voici quelques manières d’intégrer les champignons en jardin-forêt :

  • Installer des troncs inoculés (shiitaké, pleurote) dans les zones ombragées,
  • Pailler avec du bois fragmenté ou du BRF pour stimuler les champignons saprotrophes,
  • Favoriser les mycorhizes natives plutôt que d’apporter des champignons exotiques,
  • Observer les fructifications spontanées : elles sont le signe d’un sol riche et bien structuré.
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Photo : Bûche inoculée avec du mycélium de shiitaké, présentant des fructifications (Crédit : North Spore, “Growing Mushrooms on Logs”, The Black Trumpet Blog).

Un jardin-forêt réussi est un réseau de symbioses : entre plantes, insectes, bactéries… et champignons. C’est un système nourricier, mais aussi une école de l’observation, et de la coopération.

Travailler avec les champignons, c’est adopter un autre regard sur le vivant. C’est reconnaître que la vie ne se limite pas à ce qu’on voit. Qu’un sol sain n’est pas simplement « riche en nutriments », mais connecté, tissé, vivant.

Les champignons nous apprennent à ralentir, à observer, à coopérer. Ils incarnent une forme d’intelligence écologique, discrète mais d'une force remarquable. Et dans un jardin-forêt, ils sont plus que des auxiliaires : ils sont les architectes invisibles de l’écosystème.

Bonne lecture et bonnes inoculations ! 🍄

Matthieu Richter, pour l'Association Jardin-Forêt Suisse

Pour aller plus loin

Articles et références

Agroscope. (s.d.). Écologie des champignons mycorhiziens et interactions sol-plantes. Centre de compétences de la Confédération pour la recherche agricole. https://www.agroscope.admin.ch/agroscope/fr/home/themes/environnement-ressources/sol-eaux-elements-nutritifs/interaction-plantes-sol/ecologie-mycorhiziens.html

Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). (s.d.). Qu’est-ce qu’un champignon ? https://www.mnhn.fr/fr/qu-est-ce-qu-un-champignon

RTBF. (2022, 10 novembre). Les champignons, essentiels pour la biodiversité : à la recherche de reconnaissance. https://www.rtbf.be/article/les-champignons-essentiels-pour-la-biodiversite-a-la-recherche-de-reconnaissance-11453020

Tox Info Suisse. (s.d.). Syndromes d’intoxication par les champignons. https://www.toxinfo.ch/syndrome_d_intoxication_par_les_champignons

VAPKO – Association suisse des contrôleurs de champignons. (s.d.). Protection des espèces de champignons et réglementation de la cueillette. https://www.vapko.ch/index.php/fr/protection-des-champignons/la-protection-des-champignons

WSL – Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage. (s.d.). Champignons et biodiversité en forêt. https://www.wsl.ch/fr/biodiversite/diversite-des-especes/champignons

Ouvrages

Courtecuisse, R. & Duhem, B. (2013). Champignons de France et d'Europe. Delachaux & Niestlé.

Eyssartier, G. (2018). Champignons, tout ce qu’il faut savoir en mycologie. Belin.

Eyssartier, G. & Roux, P. (2024). Le guide des champignons – France et Europe (5e éd. revue, corrigée et complétée). Belin.

Gerber, J.-C. & Schwab, N. (2023). Champignons, guide de terrain (2e éd. revue et augmentée). Rossolis.

Hofrichter, R. (2019). La vie secrète des champignons. Les Arènes.