Entretien avec l'un des fondateurs de PanTerra

Crédits photo: Association Pan Terra

Parce que nous ne sommes pas seuls à croire dans les vertus des jardins-forêts, nous avons interrogé Jérémy Pasquier, l'un des fondateurs de l'association fribourgeoise Pan Terra.

 

Bonjour Jérémy, comment as-tu découvert le système de jardin-forêt pour la première fois?

Bonjour. À la toute base, on faisait des soirées philo il y a 3 ans et ça parlait pas mal du sentiment partagé que le fonctionnement global de la société ne nous convenait plus, sans même parler des enjeux environnementaux, simplement le travail, l'éducation ou les interactions sociales par exemple.

En lien avec ça, je lisais pas mal et notamment un livre nommé "L'insurrection qui vient" écrit par le comité invisible dans lequel ils parlent brièvement des villes en transition. Le concept m'a intrigué et je suis allé creuser. Je suis alors retombé sur le concept de permaculture. Je suis passé par des vidéos de Geoff Lawton puis, durant des vacances, j'ai lu le livre "Restoration agriculture" de Mark Shepard dans lequel il énonce l'idée d'association entre les cultures et les arbres. J'ai tout de suite eu l'intuition qu'il y avait un énorme potentiel car ça semblait tout simplement suivre les fonctionnements naturels.

Après ça, j'ai tout de suite décidé d'acheter le livre "Forêt-jardin" de Martin Crawford. Je l'ai lu presque d'une traite, en quelques jours. Je voulais être sûr que la pratique avait été étudiée et documentée. Une fois la lecture terminée, je suis retourné à une de nos soirées philo avec le livre. On a passé 2h à discuter sur le sujet avec Oliver, Yvan et Zacchary (4 initiateurs du projet) et on a lancé Pan Terra. Le but initial était vraiment d'avoir un lieu en communauté dans lequel on pourrait se retirer pour vivre en dehors du système au moins par moments. Très vite ça s'est transformé en projet politique dès qu'on a pris conscience des enjeux et de l'état actuel de l'agriculture conventionnelle.

 

Quels étaient vos objectifs au moment de concevoir votre jardin-forêt?

À la toute base, on voulait un système qui nous nourrisse partiellement pour être le plus autonome possible et pour dépendre le moins possible de l'extérieur. On voulait pouvoir recréer comme une sorte de sous-système avec nos propres lois, surtout concernant l'éducation, la transmission du savoir et la vie en communauté. On s'est ensuite heurté aux lois suisses qui empêchent de construire sur du terrain agricole. Lié à la prise de conscience des enjeux environnementaux, énergétiques, etc, on a choisi de se concentrer plutôt sur l'aspect autonomie et connaissances pratiques que sur l'aspect communautaire (dans un premier temps). Le terrain se situe donc relativement loin de notre lieu d'habitation et on y va tous, en principe les samedis, pour cultiver, construire, philosopher, etc.

Lors du design pour les plantations, on avait pour objectif d'y mettre un peu de tout - et surtout des arbres à fruits à coque - pour faire de la sauvegarde génétique. Quitte à planter trop dense, on voit notre projet un peu comme un lieu de sauvegarde et de multiplication de plantes utiles pour le jour où se fournir en plantes par internet sera devenu impossible. On mise évidemment principalement sur des essences pas trop présentes dans nos campagnes car des plantes plutôt du sud. Par exemple, cette année, on a planté des agrumes, des oliviers, amandiers et l'année dernière des pacaniers, mûrier et bambous. Ces plantes pourront potentiellement servir à reforester nos campagnes le jour où le réchauffement climatique sera devenu tellement intense que cultiver des plantes annuelles sera risqué.

On porte également une attention particulière à la création de hot spots biodiversité et à la beauté générale du lieu.

 

Quel est votre retour d'expérience?

La mise en pratique de la théorie que nous avions acquise nous conforte dans notre vision des choses : l'agroforesterie n'est plus un choix à l'heure actuelle. Elle est indispensable mais n'est pas perçue comme telle pour le moment donc on bosse pas mal aussi sur la sensibilisation. Notamment par notre série "les racines de la souveraineté" sur YouTube.

On a aussi relativisé l'importance d'avoir des arbres fruitiers en quantité. Sur notre terrain, on a un ancien verger composé de 2 pommiers, 3 cerisiers, un prunier, un poirier et un cognassier. Rien qu'avec ces quelques arbres, on se retrouve avec des cageots de fruits à ne plus savoir que faire. Les pommes ne sont pas vraiment un problème car on transforme le surplus en cidre ou vinaigre mais pour ce qui est du reste, à part quelques tartes, c'est compliqué. D'autant plus que la production d'un arbre vient en une fois, en une seule semaine, il faut tout récolter et la plupart des fruits se conservent très mal tel quels. Même si les arbres et arbustes à fruits sont très vantés dans les systèmes de forêts-jardins, on les perçoit plus comme anecdotiques, comme nourriture d'appoint, de plaisir en passant. Même si on avait un énorme séchoir solaire pour tout sécher et tout conserver, je suis pas sûr qu'on se nourrirait exclusivement de fruits... Non seulement parce que le goût sucré ça va un moment mais en plus parce que la le fructose en grande quantité c'est pas très sain.

On considère que l'accent doit être porté sur les calories en premier lieu. Il s'agit donc des arbres à fruits à coque (fruits caloriques qui se stockent très facilement en grande quantité). En attendant que ces derniers grandissent, on essaie de cultiver différentes plantes annuelles caloriques. Ceci dit on essaie évidemment de diversifier au maximum et d'avoir aussi énormément de plantes sauvages comestibles qui nous apportent vitamines et minéraux.

 

Quelles opportunités représentent les jardins-forêts face aux défis énergétiques et climatiques?

Le constat est très simple : moins d'énergie signifie relocalisation et simplification des productions. Relocalisation sans adaptation signifie exposition à n'importe quel aléa climatique. Les sociétés humaines jusqu'à la révolution verte avaient déjà des années difficiles, des années de famines. Non seulement ils étaient presque tous paysans à temps plein depuis leur enfance et avaient donc tous une énorme expérience mais en plus, ils n'avaient pas de souci de dérèglement climatique. Si un paysan du 15e siècle était téléporté aujourd'hui et qu'on lui présentait la situation, il nous traiterait de fous. "Non seulement vous ne savez plus cultiver mais en plus vous êtes en train de détruire le climat qui a permis à l'agriculture de se développer et qui a permis de passer l'hiver autrement qu'en chassant dans le froid". Si nous relocalisons par contrainte énergétique sans revoir nos pratiques (et pour le moment c'est la voie que nous emprunterions), nous allons recommencer à labourer toutes nos terres, style plan Wahlen : soit avec le peu de carburant qu'il nous restera, soit avec des animaux, soit à la main. C'est une faiblesse terrible face aux sécheresses. Au contraire, on l'a vu sur notre terrain, notre châtaigner de 40 ans n'a jamais autant produit. Ses feuilles étaient belles vertes et aucun signe de souffrance face au sec.

Concernant la contrainte énergétique, on reviendra à se poser des questions telles que "combien d'énergie dois-je investir pour l'énergie calorique que je vais en retirer ?", le fameux ROI. Nous avons effectué des mesures et le ROI des arbres à fruits à coques est probablement le meilleur. Avec 8 jours de travail sans moteur, on obtient les calories nécessaires pour une personne pendant une année. On n'a pas fait le calcul avec les plantes annuelles cultivées traditionnellement telles que le blé, les pommes de terre, etc, mais on imagine que le ROI est un peu voire beaucoup plus mauvais. Les systèmes agroforestiers ne seront donc pas seulement les seuls à produire lors d'années très sèches mais en plus ils seront ceux qui produiront pour le moins d'énergie dépensée. Énergie qui pourra être dépensée pour d'autres activités.

 

Un petit conseil pour ceux qui souhaitent se lancer?

Ne faites pas confiance à ceux qui vous présentent des techniques révolutionnaires. Basez-vous sur votre propre observation du fonctionnement des écosystèmes naturels et lorsque vous voulez vous mettre à une nouvelle pratique dont la manière de faire a été longuement étudiée par d'autres avant vous, ne vous pensez pas plus malins et répliquez exactement ce qu'ils vous proposent. Seulement une fois que vous aurez réussi votre culture, vous pourrez adapter la manière de faire à votre contexte. "N'en faire qu'à sa tête" offre cependant énormément de connaissances que vous serez probablement les seuls à détenir car tout le monde aura suivi la voie conventionnelle par paresse. À vous de faire la pesée d'intérêts. Cherchez-vous des résultats ? Ou une meilleure compréhension des mécanismes en cause ? Si la réponse est les deux, faites les deux ;)